L'Éternel retour
Boris Labbé fait du cinéma d’animation. Loin de la vaste production qui s’est développée ces dernières années, le réalisateur expérimente les ressorts de ce domaine particulier du 7e art. Ainsi, ses films font partie de ceux dont il faut faire l’expérience physique et sensorielle.
Se démarquant du théâtre, le film de cinéma est un spectacle qui ignorerait ses spectateurs. Il nous est demandé de nous asseoir et de se laisser prendre par ce qui se déroule sous nos yeux. Cela fonctionne. Ou pas. Car le cinéma peut trop penser à ses spectateurs : scénarii normés, peu de hors-champ, il montre trop, voire tout, sans laisser l’espace où peut se loger la sensibilité de son public, devenu consommateur.
Notre expérience de spectateur est donc modifiée par les créations de Boris Labbé, tant dans ce que nous voyons que dans ce que nous vivons de ses films. Ceux-ci sont à la lisière de l’abstraction, bien que des personnages, des paysages soient - parfois - identifiables mais l’absence de narration classique contribue à cette perte de référence au réel.
À l’origine dessinateur, Boris Labbé peut animer des figures avec de l’encre et de l’aquarelle animées (La Chute, Kyrielle…) comme il peut avoir recours à la seule image de synthèse (Orogenesis, Vanité…). Ses sources sont autant des chefs-d’œuvre de la peinture (Brueghel l’ancien dans Ils tournent en rond) que des modélisations cartographiques numériques. À partir de ce substrat d’images variées, Boris Labbé anime des formes, colorées ou non, reconnaissables ou non, dans un principe de boucle perpétuelle, voire de sarabande, danse qui convoque tournoiement et symétrie.
Voir les films de Boris Labbé, c’est assister à des répétitions de motifs, des métamorphoses de formes, des dynamiques circulaires de mouvement qui entraînent le spectateur dans un cycle sans début ni fin, qui se déploie dans un sens puis en contresens.
Si visuellement, nous sommes étourdis par la circularité de ces courts films, les compositions des musiciens contemporains Daniele Ghisi et Aurélio Edler-Copes, sérielles, répétitives, créées pour l’animation mise en place par Boris Labbé, ajoutent à l’énigme du début qui devient fin et de la fin qui devient début.
Si le film traditionnel fait que le spectateur consent à le voir, c’est parce que des voix, des dialogues l’apostrophent. Les films de Boris Labbé, par les rythmes visuels et musicaux empruntés au carroussel, à l’hélice, à la sarabande, nous font quitter le recueillement de la salle de cinéma pour nous remettre en mouvement dans le cycle, peut-être immuable, de la nature. Les créations de Boris Labbé visent l’essence du cinéma car le cinéma, « ça tourne ! ». Un cinéma élargi qui excède le film pour déborder vers l’installation et l’exposition.
Pascal Thévenet